Le geste en musique peut se décrire par le mouvement du corps dans la communication d’intention musicale impliquant aussi les bras, l’expression faciale, le contact visuel, voire la posture (Nusseck, Wanderley, Spahn, 2018). À l’orchestre, le chef ou la cheffe d’orchestre est responsable de communiquer les indications relatives à la partition comme, entre autres, les aspects de temporalité, de nuances, de caractères et les entrées, mais en musique de chambre ces indications sont faites à l’intérieur du groupe.
Qu’est-ce que le geste musicien?
Le geste en musique peut se décrire par le mouvement du corps du musicien dans la communication d’intentions musicales impliquant aussi les bras, l’expression faciale, le contact visuel, la posture, voire la manipulation de l’instrument ou encore l’actionnement du mécanisme d’un instrument. Il faut considérer le fait que ces gestes peuvent avoir plusieurs significations susceptibles d’être parfois complexes à décoder.

À quoi sert la gestuelle?
Dans l’exécution musicale, un geste peut avoir plusieurs fonctions. Tout d’abord, au niveau technique, pour émettre des sons avec un instrument musical. Cela requiert les mouvements du corps dans la manipulation de l’instrument et de son mécanisme pour émettre des sons (Nusseck, Wanderley, Spahn, 2018). Le langage corporel, que l’on peut aussi appeler la gestuelle, permet aux musiciens de communiquer entre eux diverses informations de temporalités relatives à l’exécution de la partition musicale, comme : le tempo, les départs, les entrées, les arrêts et les coupures. Elle peut aussi transmettre des indication de synchronisation du jeu musical, communiquer des éléments d’interprétation de l’œuvre (dynamique, caractère, articulations) et créer un lien avec leurs collègues et avec l’auditoire. Le corps peut se mettre en mouvement inconsciemment, en réaction ou en réponse à un stimulus auditif, en tant que geste expressif suivant le flot de la musique sans être toutefois impliqué directement dans la production du son.
D’ailleurs, les gestes musiciens sont regroupés en deux niveaux dans La gestique de Glenn Gould de François Delalande (1988) : le geste effecteur et le geste accompagnateur[1](Delalande, 1988). Le geste effecteur peut se définir par celui qui sert à produire le son avec l’instrument. Ces gestes impliqués dans la production du son des instruments se font en anticipation de l’attaque sonore et contribuent à la synchronisation avec les autres musiciens (Craenen, 2014) lorsque fait dans le tempo de la pièce musicale.
Le geste accompagnateur ou ancillaire fait appel au corps tout entier dans la modulation des sons produits, mais aussi au niveau expressif suivant de façon inconsciente suivant le flot de la musique.
Communiquer en ensemble
En formation orchestrale, le chef ou la cheffe d’orchestre est responsable de communiquer les indications relatives à la partition comme, entre autres, les aspects de temporalité, de nuances, de caractères et les entrées, et de veiller à la synchronisation des musiciens. En musique de chambre, où tous les musiciens sont tour à tour appelés à donner et à recevoir des indications, comment cette communication en musique d’ensemble peut-elle généralement se faire?
La voix est un moyen sonore et rapide de compréhension pour exprimer des indications, discuter d’éléments relatifs à la partition et de leur mise en place dans le jeu musical. Certaines familles d’instruments, comme les claviers, les percussions et les cordes, peuvent communiquer entre elles par la voix en répétition pour échanger des indications afin de synchroniser leur jeu, en utilisant par exemple le comptage des temps. Cependant, la voix comme outil de communication n’est pas non plus optimale en répétition : lorsque le volume devient trop fort, il peut devenir difficile d’entendre les indications verbales clairement. Elle est inutilisable dans ce contexte pour la famille des instruments à vent, étant donné que la bouche est occupée à transmettre le souffle et à contrôler celui-ci dans l’embouchure, permettant la mise en vibration des instruments. Ce mode de communication n’est pas non plus adéquat lorsque vient le temps de jouer, ou lors des prestations où le silence des musiciens est requis. Dans un contexte où la voix ne peut être impliquée comme moyen de communication, les musiciens doivent se tourner vers la gestuelle et le langage corporel.
La respiration puisque tout le monde respire, c’est donc un élément connu à partir duquel nous avons tous expérimenté notre potentiel d’information (soupirer, retenir notre souffle sous la surprise, souffler d’exaspération puis inspirer longuement pour nous calmer). La respiration est un autre élément visible et auditif qui permet la synchronisation des musiciens (Cosano, Ortega-Ruiz, Zych, 2017). C’est un des éléments les plus utilisés, notamment chez les vents dont la production du son se fait par le passage de l’air dans l’instrument par le biais du système respiratoire du musicien. Cependant, elle n’est pas restreinte aux vents, car tous les instruments tendent à l’utiliser pour se synchroniser, notamment lors des départs ou re-départs (Cosano, Ortega-Ruiz, Zych, 2017). Plusieurs informations peuvent être véhiculées par la vitesse et l’intensité de la prise d’air qui permet de coordonner les départs et les débuts de phrasés, de communiquer le tempo ainsi que de préparer la dynamique, le caractère et l’articulation de l’émission du son, la synchronisation de l’attaque et plusieurs autres indications.
Le contact visuel est un élément important dans la communication verbale afin d’établir une relation entre les interlocuteurs, indiquant notamment que nous sommes à l’écoute les uns des autres. C’est le cas aussi dans la communication musicale où le contact visuel permet d’établir une relation entre musiciens. L’observation visuelle est un moyen direct d’analyser les indications des autres musiciens et leurs mouvements en temps réel pour se synchroniser. Le contact visuel entre musiciens permet de prendre conscience de cette analyse et contribue aussi à créer un sens de la complicité qui favorise l’anticipation du décodage de la gestuelle et la familiarisation de ces codes. Le contact visuel comme moyen de synchronisation peut être impliqué par exemple dans les indications de départ, d’arrêt, de nuances, d’attaques, et peut même stabiliser le tempo (Cosano, Ortega-Ruiz, Zych, 2017). En musique de chambre, que ce soit en groupe instrumental homogène (de même famille d’instruments) ou hétérogène (ayant plus d’une famille d’instruments), la gestuelle peut servir à donner des indication de départ ou d’arrêt avec un geste de direction de haut en bas, imitant celui d’un chef d’orchestre, tout en tenant l’instrument dans sa position. Dans le même ordre d’idée, la tête peut, elle aussi, être utilisée de cette manière en hochant pour indiquer les départs et les changements de tempo (Nusseck, Wanderley, Spahn, 2018). Les musiciens à l’intérieur d’un groupe peuvent aussi s’entendre pour déterminer un geste en particulier donné par un des musiciens à un moment précis dans une œuvre spécifique pour synchroniser la bonne exécution. À l’opposé, l’absence de contact visuel peut avoir un effet sur la coordination et la synchronisation des musiciens : par exemple, dans un cas où la disposition des musiciens ne favoriserait pas un contact visuel facile. Des problèmes mineurs de synchronisation se présentent tout au long de la prestation. Puisque le contact visuel est un élément qui semble universellement compris dans le langage parlé, il s’appliquerait pertinemment au contexte de la communication en musique d’ensemble, et ce peu importe le type de nomenclature.
Le langage corporel est synonyme de communication non verbale. Denault et Plusquellec en donnent une définition très simple : « La communication non verbale, c’est-à-dire la communication effectuée autrement que par des mots (Knapp, Hall, & Horgan, 2013) ». Le langage corporel est codifié par les us et cultures de chaque langue. La musique étant un langage universel, on peut se demander quels les éléments qui peuvent être communiqués, et avec quelle sorte de gestes.



Les gestes et les instruments
Le langage corporel peut être influencé par la langue parlée se rattachant à une culture. Elfenbein et Ambady affirment que des études démontrent que les membres d’un même groupe culturel identifient plus facilement et adéquatement les émotions exprimées dans le langage non verbal (Elfenbein, Ambady, 2003). En est-il de même avec la musique? Est-ce que les gestes sont universels entre familles d’instruments, ou, tout comme dans le langage parlé, y a-t-il des gestes idiomatiques associés à ces familles d’instruments? Certains gestes sont propres à des familles d’instruments, comme : la respiration pour les vents, la manipulation de l’instrument dans la production de sons, la posture et la mobilité du corps en fonction de la tenue de l’instrument ou de la technique instrumentale et l’utilisation des parties du corps dans l’expressivité et la production de sons.
Le geste idiomatique
Tout comme les langues, les instruments ont des particularités respectives découlant de la manipulation de leur instrument. Une sorte de langage corporel dans la communication gestuelle en ensemble de musique s’établie dans les grandes familles d’instruments.
Les instruments et leur communication
Les gestes visibles impliqués dans la production de sons sont intimement liés à l’instrument qui les produit : par exemple, chez les instruments à cordes, le mouvement du bras droit active l’archet qui met l’instrument en vibration; chez les percussions, on fait appel aux bras pour percuter l’instrument au moyen des mains ou de baguettes (Craenen, 2014). C’est aussi le cas pour le piano et les autres claviers dont toutes les articulations, des bras jusqu’au bout des doigts, sont sollicitées pour actionner les touches; il en va de même chez la harpe et les cordes, en pizzicato avec le pincement des cordes par les doigts. Les vents, eux, doivent souffler dans leur instrument pour émettre des sons.
L’idiomatisme de la facture, du mécanisme et de la tenue de chaque instrument a mené au développement de gestes idiomatiques, c’est-à-dire propres à chaque instrument. Certains éléments idiomatiques se retrouvent à l’intérieur d’une même famille d’instruments comme chez les instruments à archets, les instruments à vent et la famille des percussions. Ce sont l’entrainement et l’aspect de répétition et de récurrence qui permettent d’acquérir des compétences techniques et expressives à l’instrument. Le temps consacré à la pratique instrumentale permet tout au long de l’apprentissage d’explorer les possibilités techniques et sonores qu’offre l’instrument, de les raffiner en en ayant une connaissance plus approfondie et éventuellement un contrôle optimal d’émission du son. Ces gestes, avancés par Mice et McPherson, sont grandement déterminés par l’ergonomie de l’instrument et influencent inconsciemment le jeu des musiciens (Mice, McPherson, 2020). D’ailleurs, plusieurs de ces gestes se sont codifiés à travers le temps par transmission entre musiciens et entre élèves et maîtres (Cosano, Ortega-Ruiz, Zych, 2017). Par exemple, les instrumentistes à cordes sont plus familiers avec l’aspect technique de la manipulation de leur instrument, de l’archet et du mouvement des doigts de la main gauche sur la touche. Ainsi, ils sont plus à même de pouvoir synchroniser leur jeu par l’observation des doigts de leurs collègues cordistes (Bishop, Goebl, 2015). À l’opposé, alors que des instruments différents doivent jouer ensemble, certains signaux propres à une famille peuvent ne pas être décodés efficacement par un instrumentiste d’une autre famille d’instruments. Dans le cas d’un duo violon-piano, le changement de coup d’archet qui est une indication reconnue par les autres cordistes pourrait ne pas être reconnu comme un geste clair de synchronisation pour un pianiste. À l’opposé, deux pianistes en duo reconnaîtront mieux chez leur acolyte pianiste les indications de synchronisation dans la gestuelle idiomatique attribuée à leur instrument (Bishop, Goebl, 2015). Cela peut se transposer chez les percussions avec leurs baguettes. Chez les vents, la respiration est un élément commun, tout comme la mobilité du corps en fonction de la tenue de l’instrument.
Ainsi, Loehr et Palmer indiquent que jouer d’un même instrument peut faciliter le décodage de la communication gestuelle entre musiciens par reconnaissance des indications dans la communication non verbale (Loehr et Palmer, 2011).
Conclusion
Le corps est intimement lié à la production du son chez les musiciens. Il intervient consciemment dans la mise en vibration de l’instrument pour la production du son et pour la manipulation du mécanisme des instruments (Nusseck, Wanderley, Spahn, 2018). Aussi, le corps peut se mettre en mouvement inconsciemment, en réaction ou en réponse à un stimulus auditif en tant que geste expressif suivant le flot de la musique, sans être toutefois impliqué directement dans la production du son.
Le langage corporel est un élément important autant dans la communication verbale que musicale, permettant de véhiculer des informations non dites, des intentions et des émotions (Schutz, 2008) à travers les gestes du corps humain dans un contexte donné.
Bibliographie
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[1]François Delalande, « La gestique de Glenn Gould ». Louise Courteau éditrice, 1er janvier 1988, 84‑111, p. 85.