Aborder une nouvelle partition

Avez-vous déjà monté sur le podium devant un ensemble, quelque soit niveau et vous sentir pas encore assez prêt(e) ou pas en plein contrôle? Après une répétition avez-vous déjà eu le sentiment que vous auriez pu faire davantage progresser la musique et l’ensemble? Avez-vous déjà eu l’impression vous sentir pas tout à fait à la hauteur de la tâche? De ne pas savoir par où commencer avec une partition?

Rassurez-vous, tout cela peut généralement être amélioré avec une meilleure préparation. Sachez qu’il existe des approches pour apprendre aborder une œuvre pour la première fois. Avec l’expérience, j’ai développé ma propre technique d’approche de la partition qui maximise l’efficacité de notre attention et de notre temps. Pas besoin de rituel, d’attendre le moment sacré où l’on se sentira totalement disposé à aborder cette nouvelle œuvre. Quelques étapes simples vous permettront d’y arriver.

Comme cheffe d’orchestre j’ai souvent le plaisir d’ajouter une nouvelle œuvre à mon répertoire. Que ce soit du répertoire classique, un ballet, un opéra, une œuvre moderne ou une création, je l’aborde toujours avec le plus grand respect et application. Avec mes élèves en direction d’orchestre, qui sont généralement des professionnels de la musique ou des étudiants avancés, nous voyons l’étude de la partition en premier lieu, car c’est un élément primordial nous permettant de faire notre travail : traduire en gestes la partition afin de guider la bonne exécution et interprétation de l’œuvre que l’on dirige.

Lorsque l’on tient une nouvelle partition dans nos mains pour la première fois, elle peut nous sembler de prime abord : étrangère, volumineuse, complexe, incompréhensible, comme si elle avait sa propre vie – ce qui à mon avis est le cas  –  et que l’on doit l’apprivoiser, apprendre à la connaître comme une personne en découvrant son histoire, sa personnalité, son discours, sa vision.
Si vous avez déjà eu un vertige en ouvrant une nouvelle partition pour la première fois? Sachez que cela est tout à fait normal, il s’agit d’inconnu. Et tout ce qui est inconnu peut être à la fois excitant, abscons, angoissant, voir stressant.

Assiduité et récurrence
Tout comme la pratique instrumentale, la direction d’orchestre demande du temps, de la patience et de la dévotion. Commencez par déterminer une période d’étude quotidienne où vous êtes certain de ne pas être dérangé, interrompu ou déconcentré. Afin de trouver son moment propice à l’étude, considérez les heures de la journée où votre concentration est la plus optimale, où vous êtes certain de ne pas être dérangé. D’une journée à l’autre la case horaire peut varier selon ces éléments et votre emploi du temps. Ayez de l’assiduité en dédiant un moment chaque jour réservé à l’étude de vos partitions, cela permet la constance sur le long terme. Fermez vos appareils intelligents et médias sociaux et accordez votre pleine concentration à votre étude. Il est plus rentable de faire une heure par jour que trois heures d’affilée un jour par semaine. La concentration est aussi plus optimale en session d’une heure. Si vous décidez d’avoir des sessions d’étude de plus d’une heure, veillez à prendre une pause de 15 minutes toutes les heures afin de reposer votre cerveau et de garder la concentration. Changer vous les idées à la fin de votre session d’étude pour vous permettre d’intégrer ce que vous avez appris. Une marche à l’air frais, oxygénera votre cerveau et favorisera l’assimilation de ce qui a été étudié.

Avez-vous remarqué que plus vous jouez une œuvre et régulièrement, plus elle devient familière et de plus en plus facile? C’est l’assiduité et répétition qui le permettent. Tout comme avec l’instrument, lorsque l’on répète les passages et les gammes plusieurs fois et régulièrement afin de les intégrer, dans l’étude de la partition le même principe s’applique.
Bien sûr, mettre en place l’assiduité et la récurrence demande un minimum maîtrise de soi et de ténacité afin de maintenir dans le temps cet engagement. Pour vous y aider, souvenez-vous pourquoi vous consacrez du temps à l’étude de la partition. Souvenez-vous qu’en respectant ses cases horaires dédiées, vous atteindrez plus facilement vos objectifs, en gardant la motivation et l’énergie.

Plan de travail
Comme je l’ai mentionné plus haut, parfois nous pensons qu’il faut être dans un état mental, voir «spirituel», spécial ou «sacré» pour aborder une partition. Beaucoup de chefs débutent une nouvelle œuvre avec motivation, mais la perdent après une ou deux sessions d’étude ayant recours à divers stratagèmes et très souvent j’entends mes élèves et collègues en direction d’orchestre, dire «Ah, je n’ai pas eu le temps de regarder ma partition!», «Je n’étais pas dans l’état d’esprit pour ça!», «Je ne sens pas cette œuvre!» Rassurez-vous, c’est normal!!! Nous sommes humains et essayons de nous convaincre que nous sommes trop occupés ou fatigués et que nous avons pleins de «choses concrètes et importantes» à faire sur la liste des priorités, nous évitant de faire ce qui est le plus important dans notre pratique artistique. Ma collègue Angela Beeching, une formidable coach de carrière musicale, a très bien expliqué dans un de ses articles ce qui peut se passer en nous lorsque nous sommes face à des défis qui nous tiennent réellement à cœur :

«Admettons la vérité : il n’y aura jamais assez de temps. Et nous ne serons jamais totalement «prêts» à faire cette chose ambitieuse et effrayante dont nous avons besoin pour progresser. La seule façon d’accomplir vraiment ce qui est important, est de définir un moment précis pour ce qui compte le plus et ensuite le faire réellement .»

Tout comme avec les moments dédiés à l’étude, un plan de travail contenant des objectifs réalisables, on peut aider surmonter la procrastination, les émotions et le stress associés à l’étude en fixant simplement les priorités avec le score.

Un calendrier d’étude est un outil simple qui nous permet de planifier l’utilisation de notre temps d’étude et de mesurer notre progression et nos résultats. Ce calendrier doit tenir compte que vous devez être prêt à diriger avant la 1re répétition. Une planification comprend les dates où vous vous aurez intégré chacune des sections, mouvements et enfin l’œuvre au complet.

J’utilise régulièrement un journal d’étude pour y noter ce que qui a été étudié, les passages, les mesures problématiques, les accords à analyser plus en profondeur, ou encore y écrire les notes historiques trouvées ou à chercher. En prenant des notes lors de votre travail et la fin de chaque session vous pourrez suivre la progression de votre plan de travail et répartir votre temps également dans toute l’œuvre. Cela évite de consacrer notre temps à travailler une partie en profondeur et arriver au bout du compte sans maîtriser le reste ou une portion en particulier. Avec ce simple outil vous pourrez vous en assurer.

Aborder l’œuvre
La première session d’étude sera consacrée à une vue d’ensemble de l’œuvre pour préparer le plan de travail. Débutez par une analyse globale de l’œuvre : la biographie du compositeur, sa motivation en composant cette pièce, son style de composition, des notions historiques de l’époque, l’analyse de la forme de l’œuvre. Tenez compte de toutes les indications comme le titre, les dédicaces, les notes du compositeur ou de l’éditeur pour orienter l’exécution et l’interprétation de l’œuvre. Faites des recherches, cela vous permettra de mieux connaître la pièce et de mieux l’interpréter. Par la suite, poursuivez en repérant les mouvements (s’il y en a) et leurs sections ou celles de l’œuvre si elle est en une forme continue. Dans votre planification de travail vous pouvez segmenter votre étude mouvement par mouvement (section par section), et voir même par partie ou par passage. Viser à travailler la pièce en profondeur en une session d’étude en débutant par la mesure 1 en espérant arriver à la double barre finale de toute l’œuvre,  est :
1. irréaliste à moins que la pièce soit pour débutants et qu’elle ne compte que quelques pages;
2. peut s’avérer démoralisant quand on regarde la tâche colossale à accomplir et surtout si on n’y arrive pas;
3. généralement inefficace pour un travail d’étude en profondeur et de mémorisation.

Je me souviendrai toujours du moment, où à mes débuts professionnels, bien que très motivée j’ai posé devant moi avec un brin d’effarement le score de l’Opéra L’Elisir D’amore de Donizetti. Une brique de 2 pouces de haut contenant plus de 600 pages représentant environ 2 heures de musique. «Faut que je passe à travers!» Avais-je pensé. Étonnamment, je ne pensais pas y arriver, mais à la fin de mon étude je connaissais si bien l’oeuvre qu’elle me semblait être courte! Il va s’en dire qu’il m’a fallu plus d’une session d’étude pour y arriver. J’ai étudié air par air, récitatif par récitatif, instruments et voix chacun à son tour avant de pouvoir en faire un tout.

Le lien avec la partition
Une partition de chef, communément appelée le score, est l’outil essentiel pour exécuter une œuvre. Vous passerez beaucoup de temps avec elle et celle-ci devra vous servir longtemps. Prenez en soin, soyez en fier. Quand vous notez à l’intérieur, faites-le proprement avec des crayons effaçable. Un bon crayons de plombs qui s’efface sans laisser de marque est à privilégier. Personnes n’est à l’abri d’un mauvais coup de crayon ou de changement d’idée. De ce fait, j’évite toujours les stylos et crayon qui ne s’effacent pas ou laissent des marques. De nos jour, il existe des crayons de couleurs effaçables qui peuvent s’avérer utiles si vous travaillez avec des codes de couleurs. Souvenez-vous que les partitions de chef peuvent coûter cher et que certaines sont plus difficiles à trouver. Dans le même ordre d’idée, manipulez, transportez et rangez vos partitions avez soin.

La/Le chef.fe d’orchestre – le directeur(trice) musical(e) – est la personne sur la scène qui doit le mieux connaître l’œuvre à exécuter afin de pouvoir guider tous les musiciens. Nous sommes le porte-parole du compositeur et donc responsables de la bonne exécution de l’œuvre – suivant la notation et les indications du compositeur –  et de l’interpréter en y ajoutant notre personnalité artistique – en respectant les indications du compositeur. Apprendre une œuvre prend du temps, de l’énergie et de la dévotion. Être chef.fe d’orchestre – directeur musical – est un grand honneur, mais aussi une grande responsabilité que nous avons envers les musiciens, l’audience, les compositeurs et la musique elle-même et j’ajoute aussi envers nous même, envers notre valeur artistique. Vous valez réellement de donner le meilleur de vous-même et d’investir du temps dans l’étude de la partition. Si cela peut vous sembler parfois fastidieux, souvenez-vous qu’il est plus facile de prendre une œuvre partie par partie que tout en entier. Comme l’a si bien dit Creighton Williams Abrams Jr. :

«On ne peut manger un éléphant qu’une bouchée à la fois.»

Dans un prochain article, l’étude de la partition sera abordée plus en profondeur. D’ici là gardez la motivation avec vos partitions et amusez-vous!

Sources

 Angela Beeching «My Email debacle» https://angelabeeching.com/my-email-debacle/ (Page consultée le 5 octobre 2018) traduit de l’anglais par Marie-France Mathieu