Danielle Lefebvre – agente d’artiste, directrice de l’agence Danielle Lefebvre
MFM Bonjour Danielle. C’est très gentil d’accepter de faire cette entrevue avec votre horaire chargé.
DL Ça me fait grand plaisir de pouvoir contribuer.
MFM D’entrée de jeu, parlez-nous de votre métier. Qu’est-ce qu’un agent, une agente d’artiste?
DL En gros, un agent fait la promotion de l’artiste en prenant son matériel pour les «booker» et organiser des tournées auprès de festivals, de marchés et de prendre la commission qui vient avec.
MFM Quelles sont les différences entre un agent et un gérant d’artiste?
DL Un gérant (manager) sera aussi impliqué artistiquement auprès de l’artiste. Il y aura des discussions avec l’artiste au niveau du plan de carrière, d’outils, d’horaire personnel et on va parler de subventions. C’est la «job» du gérant d’aller chercher des sous. Aussi, faire des plans de développement et aller chercher des outils pour mettre en marché les produits ou l’artiste; qui on va viser : séries classique, de musique de chambre?! Il y a donc un gros travail que le gérant va faire. L’agent lui, va dire à l’artiste : «ok ton produit est prêt, voici, j’ai telle niche, tels contacts.» Donc, l’artiste a déjà son matériel promotionnel, des projets, ses enregistrements, ses affiches et l’agent prend le tout, fait des appels à ses contacts pour en faire la promotion et faire du «booking» pour l’artiste dans les dates et les cachets visés. Il voit à la logistique. Bien sûr, il y a des zones grises, et plusieurs portent divers chapeaux : agent-gérant-producteur.
MFM Quelles sont vos principales tâches au quotidien?
DL Chaque structure organisationnelle d’agence est différente. Dans mon cas, je suis la directrice de mon agence, donc j’ai toute la partie gestion, administrative, finance, et cetera à faire. J’ai une partie où je suis gérante, mais je n’ai pas beaucoup d’artiste. J’ai deux artistes sur les seize de l’agence, parce que c’est beaucoup de temps. Et pour les quatorze autres, je suis agente. Alors, pour eux, je leur dis, «j’ai besoin de tel matériel, donnez-moi vos dates de tournée.» Mon rôle est de faire des appels, aller à des marchés pour présenter les artistes et les booker.
MFM Comment un artiste entre dans une agence ou devient-il représenté par un agent?
DL (Rire) Ok! Comme tu me le faisais remarquer tout à l’heure Marie-France, les agences sont saturées. Alors, les agences vont rechercher quelque chose qui va équilibrer leur budget et équilibrer leur travail. Il y a des coups de cœur! L’agent et le gérant, comme l’artiste, a la passion pour ce qu’il fait et je crois que ce n’est pas n’importe qui, qui va faire ce métier-là. L’agent ou le gérant, tout dépendant s’il porte un double chapeau, va être entre deux : la pression que l’artiste lui met toujours et la diplomatie continuelle qu’il doit avoir avec les festivals et les diffuseurs. Il doit être patient, car il se fera demander de rappeler au moment propice de l’année pour ce genre de produit. La diplomatie est importante, car on ne peut pas froisser le client-diffuseur. L’agent ou le gérant à deux sortes de clientèles : celui qui va acheter, mais aussi les artistes qu’il sert. Donc, comment on entre dans une agence, on essaie de balancer entre nos coups de cœur. Il faut aimer l’artiste, sa vision, aimer son genre de projet qu’il veut amener à développer. Pour moi c’est quelque chose d’important. Mais je dirai qu’une priorité pour moi est que l’artiste soit agréable. J’explique! (Rire) Notre métier est très dur, comme je te disais, mais comme on n’est pas toujours tributaires des résultats, malgré qu’on les informe beaucoup, on a beaucoup de pression de nos deux sortes de clientèles. Si un artiste est désagréable, je le raie tout de suite. Un artiste insistant, un artiste qui chiale, un artiste qui ne fait pas confiance, égocentrique, que tout lui est dû, moi c’est quelque chose que je n’aime pas. Mais il y en a qui prennent ces artistes, parce qu’ils savent qu’ils vont rapporter des sous. Mais on reçoit tellement d’offre qu’on a le choix de prendre de bons artistes agréables! Ensuite, on regarde le travail que ça va demander et le marché disponible. Si je sais qu’un compétiteur, qui soit-dit en passant sont aussi nos collègues, ont le même type d’ensembles ou de produit, on va peut-être passer. Si dans les contacts ont a pas assez de diffuseurs pour un certain type de produit, ça peut être un facteur déterminant. Les cachets que l’artistes demande s’il n’est pas flexible, peut aussi être déterminant, parce que ça peut parfois être difficile de les vendre au tarif qu’ils veulent. Mais d’un autre côté, on va regarder les bénéfices que ça va nous rapporter en terme travail et entrée d’argent. Certaines agences recherchent des gagnants de concours, ce qui n’est pas mon cas.
Je pense que l’artiste doit s’équiper lui-même. Un artiste qui part de zéro : il n’a pas de site web, pas d’audio, pas de dossier de press, je risque d’être moins intéressée à cause de la charge de travail à faire. Mais un artiste qui a une bio, une session de photo professionnelle, un site web, qui a de l’unicité de l’originalité dans ses projets artistiques, c’est accrocheur.
MFM Quels sont les liens entre l’artiste et son agent?
DL On espère toujours qu’un lien de confiance puisse s’établir. C’est très important de part et d’autres et ça prend du temps à établir. Avoir des discussions, selon les moments stratégiques. Un gérant développera une discussion en continue avec son artiste. En agence, moi je pense que ça prend une balance dans la communication. Il y a des artistes qui m’écrivent trop et d’autres pas assez. C’est important de savoir ce qui se passe pour eux pour nourrir mon travail, mais je ne dois pas me sentir «harcelée» non plus. L’agent est porte-parole de l’artiste et c’est pour ça qu’on doit savoir sur quels projets ils travaillent, développent. C’est pour cela que ça prend des bonnes relations avec l’artiste pour avoir le goût d’en parler, d’en faire la promotion.
MFM Comment fonctionne en gros la promotion ou l’autopromotion d’un artiste?
DL C’est connaître le marché, connaître les réseaux, établir des listes les maintenir à jour, les contacter via le téléphone, le marché, les infolettres. La promotion, c’est trouver les moyens pour dire : «on existe, voici notre projet!» et petit à petit on finit par savoir que dans le marché, il existe telle affaire, tel réseau, tel tremplin. Faut savoir aussi quand! Quand informer. C’est quoi le cycle de programmation de notre réseau et ça varie d’un diffuseur à l’autre, d’un secteur à l’autre et d’un pays à l’autre.
MFM On parle souvent de la lourdeur bureaucratique de la gestion d’artiste? En quoi cela consiste?
DL Si on parle de la charge administrative, oui il y en a tout le temps… Il y en a trop! Sans hésitation, oui il y en a! On a beaucoup de formulaires à remplir par réseau. Par exemple, pour moi, un réseau me demande de remplir des formulaires de toutes nos offres. Donc je fais ça, fois seize (pour ses seize artistes). Ça c’est pour un réseau. On a à remplir des papiers pour des «show case», pour des rapports financiers, pour des demandes de financement. On a aussi toute la logistique à envoyer : le nombre d’affiches, les photos, les dossiers de présentation. Après on a les horaires à gérer, les réservations d’hébergement, de transport, les devis technique. La contractation : le contrat, le lire, le retourner, il manque des détails, on envoie une nouvelle version on signe. Faut signer la fiche technique… des feuilles de route, des cahiers de tournée. Tous les papiers internationaux pour ici et ailleurs.
MFM Parlez-moi des promoteurs? C’est un peu obscure et parfois une barrière qu’on rencontre dans notre promotion. Qui sont-ils? Et comment arrive-t-on à entrer en contact et établir des liens avec eux?
DL Comme je le disais un peu plus tôt, au fil des années on apprend à connaître les réseaux qu’on maintient à jour. À savoir, quand et comment les contacter. C’est pour ça qu’un agent ça facilite beaucoup de choses parce qu’on a ces contacts-là. Il y en a dans les promoteurs qui ne veulent pas travailler avec les artistes directement, parce qu’ils savent que souvent, les artistes sont moins bien organisés et ont moins d’expertises pour tout l’aspect gestion, donc ça va occasionner plus de travail pour le promoteur. Mais aussi, pour la négociation de cachet, ils préfèrent le faire avec l’agent pour conserver de bonnes relations avec l’artiste qui viendra jouer pour eux.
MFM Avez-vous un truc pour les musiciens qui font leur autopromotion pour arriver à passer cette barrière malgré tout?
DL Faut être prêt à investir temps et argent! Il y en a des artistes établis qui s’autogèrent, mais ils sont très organisés et sont présents aux événements entre agents et promoteurs.
MFM Et ces événement-là comment fait-on pour y avoir accès. Y a-t-il une liste?
DL Pour le Québec, il y en a deux principaux : Rideau et ROSEQ. Ils sont beaucoup focalisés sur les diffuseurs pluridisciplinaires. Donc, il faut avoir une offre artistique qui va correspondre à ce qu’ils recherchent. Tandis que si on va voir les séries classique, elle sont assez éparses. Le grand rendez-vous de la musique (CQM) qui depuis quelques années qui organisent un rendez-vous de deux jours en juin. Aussi au niveau classique, il y a Classical:next qui vient d’émerger à Rotterdam, qui a lieu à tous les mois de mai. Il faut être actif et persister, parce que les gens voient passer tellement d’offres que c’est avec le temps qu’ils finissent par nous remarquer. Il y a Chamber Music America à New York qui ne cherche que de la musique chambre un peu de jazz.
MFM Est-ce que la promotion est la même pour tous les instruments? Parlons des solistes avec orchestre par exemple?
DL Ah, c’est complètement différent. Je sais qu’il existe un événement aux USA : Orchestra America pour les orchestres où les agents amènent leur banque d’artistes auprès des orchestres présents.
MFM Et quels sont en générales, les différences avec la promotion des chanteurs, des ensembles, des chefs d’orchestre et des compositeurs?
DL Ce sont toutes des catégories avec des classes et des approches différentes. Les chambristes vont toucher plus large comme marché parce qu’il y a plus de festivals, plus de séries qui leur sont dédiés. Le soliste va toucher les orchestres et les salles de récitals. Pour être solistes, faut sortir du lot et ça prend presque un gérant et non pas juste un agent. Pour les opéras, c’est un gros milieu d’auditions, où les chanteurs sont généralement mieux rémunérés. Il est bon d’avoir un agent ou gérant ayant un antécédent dans le milieu ou y étant spécialisé. Pour les chefs, ça ressemble aux les solistes. Les compositeurs, ont souvent recours à leurs amis musiciens pour jouer leurs œuvres et aux subventions. Tout le réseau de la musique contemporaine est plus adéquat pour les compositeurs.
MFM Est-ce qu’avoir un agent est un prérequis essentiel pour faire ou développer votre carrière?
DL Plutôt un gérant pour développer la carrière. Si un artiste est capable de s’autogérer, un agent sera plus enclin à le prendre. Un gérant ça peut être un ami, collègue très organisé, qui a le côté business, entrepreneur, vendeur. Ce qui peut être difficile dans ces cas-là, c’est décider comment rémunérer ce gérant. C’est généralement entre 10 et 20% de commission pour l’agent et être prêt à donner 30 à 40% si on a les deux (agent et gérant). Il faut être créatif pour trouver une façon de rémunérer notre agent. Il faut voir ce pourcentage non pas comme une partie de moins sur le cachet, mais comme un investissement dans un service de travail pour notre carrière. C’est souvent un commentaire que j’entends de la part d’artiste qui voit cette commission comme un “moins” dans le chèque du cachet. Vous engagez quelqu’un pour vous supporter, vous aider dans votre carrière! Un agent ça aide pour faciliter la promotion et obtenir des engagements plus rapidement. Cependant, avec l’autopromotion, les contacts que l’on fait sont à nous, le réseau qu’on a bâti nous reste tout au long de notre carrière. Mais même pour un artiste avec un agent, il y a du travail d’autopromotion à faire.
MFM Comment devient-on agent d’artiste?
DL Un gros pourcentage étaient musiciens. Pour chacun c’est différent. Il y en a qui jouent encore, d’autres non. Moi j’étais musicienne, flûtiste de formation. J’ai suivi des formations en gestion artistique. Ce qui fait la force de ces gens-là c’est qu’ils savent de quoi ils parlent. Il faut être patient, gentils, diplomate, aimer le social parce qu’on doit rencontrer les diffuseurs et souvent prendre un verre ou passer du temps avec eux pour tisser des liens. Il faut être organisé, être vendeur, avoir des compétences en marketing. Savoir alimenter une conversation pour obtenir des informations. Être mentoré dans une agence est un très bon début. On apprend beaucoup sur le plancher.
MFM Y a-t-il des formations pour apprendre ce métier?
DL Je sais qu’il y a des formations aux HEC. Aux États-Unis, il y a un cours en ligne. Il y a une association d’agent et gérants d’artistes aux États-Unis le NAPAMA et l’IAMA en Europe. Comme je disais, on peut demander à une agence pour être stagiaire ou mentoré.
MFM Avez-vous quelques conseils pour les musiciens qui gèrent eux-mêmes leur carrière?
DL S’informer et se tenir informer. S’intéresser d’abord, à savoir où on va jouer, quel genre d’endroit, vérifier la pub, les photos, la bio qu’ils utilisent pour valider les informations diffusées. Rester proactif, faire du social, travailler à sa promotion. S’intéresser à l’industrie et aux autres. On est nous-même, notre meilleure publicité.
MFM Pour terminer, cette entrevue, faut-il accepter d’investir financièrement pour le développement de notre carrière.
DL Il faut investir dans nos outils de promotion et de planification. Les premières années, on peut accepter de plus petits cachets pours se faire engager et donc se faire connaître. Ensuite, d’une année à l’autre, on peut augmenter nos cachets. Faut penser au tarif dans le marché, mais avec l’offre il faut se démarquer. Tout passe par la planification sur quelques années pour savoir comment faire nos compromis financier. Notre objectif est d’aller plus loin dans notre promotion et dans nos cachets. Renouveler nos offres d’une année à l’autre pour garder l’intérêt et demander davantage. Ne jamais baisser sur la qualité selon le cachet! Au Québec, c’est difficile de faire carrière dans une seule chose. Plusieurs ont un à côté : enseignement, arrangement, studio ou autre chose complètement. Il faut être conscient qu’il y a des années hautes et des années basses, c’est comme ça! Mais soyez persévérant et patient!
Agence Danielle lefebvre
Conseil québécois de la Musique
NAPAMA
IAMA
Réseau des conseils de la culture régionaux du Québec
HEC