Formé au conservatoire de musique de Québec en écriture musicale et en contrebasse à la Rice University de Houston Texas d’où il détiens une maîtrise en Interprétation, Gilbert Deshaies a joué pendant plusieurs années au seins des diverses formations symphoniques du Québec. Il est depuis l’an 2000 musicothécaire de l’orchestre Symphonique de Québec et adjoint à la programmation.
Marie-France Mathieu (MFM). Bonjour Gilbert. Je suis contente de vous rencontrer pour que vous parliez de votre métier de musicothécaire dans un orchestre symphonique.
Gilbert Deshaies (GD). Merci! Je suis content que vous m’ayez contacté pour parler de mon métier, parce que cela n’arrive pas souvent.
MFM Parlez-nous de votre métier de musicothécaire
GD Le musicothécaire s’assure que les musiciens ont la bonne musique au bon moment et que lors des répétitions le chef d’orchestre n’ait pas à s’arrêter pour des problèmes de partitions, d’éditions, ou de mauvaise tourne de page. Quand la répétition se déroule bien je n’ai pas à intervenir pour des partitions. Je suis là pour les musiciens et aussi le chef. Je dois m’assurer que les partitions sont adéquates pour les répétitions, le répertoire.
MFM Quels sont vos principales tâches?
GD Tout d’abord, le maintien de la collection de partitions, l‘archivage, les acquisitions de partitions et en lien avec le chef, je vais m’entendre avec lui* sur les versions, éditions, s’il y a lieu, comme par exemple avec Bruckner et Rossini où il y en plusieurs. J’ai aussi à préparer le matériel : placer les coups d’archets, apporter des changements ou ajouter des doublages demandés par le chef, ou corriger des notes dans les partitions. Pour vérifier des erreurs dans des partitions, nous avons des listes où l’on peut trouver ces erreurs qui ont été compilées. Je procède à l’achat ou à la location de partitions en vue de la programmation de la saison. Je prépare les partitions pour éviter les mauvaise tourne de pages. Je dois aussi être présent lors des répétitions au cas où il y a des ajustements à faire avec les partitions. Il y a aussi des chefs qui arrivent avec leur propres partitions dont je dois faire les photocopies, ou imprimer si elle sont numériques. j’ai aussi faire des copies pour l’assistant-chef.
MFM Quel lien le musicothécaire a avec les musiciens?
GD Nous sommes en liens avec le violon solo pour les coups d’archets. Par exemple, si l’on refait une pièce qu’on a fait il y a 10 ans, notre violon solo Darren (Lowe) voudra la réviser, car sa pensée a évolué; il ne pense plus pareil. Je dois aussi concéder à quelques demandes pour satisfaire le confort des musiciens, comme grossir les partitions pour leur vue. Je dois m’ajuster aux délais où les musiciens veulent leur partitions. Certains la veulent des mois à l’avance, pour d’autres à la dernière minutes c’est correct. Je suis au service des musiciens et ils ont toutes leurs petites préférences, on finit par les connaître et les concéder. Parfois, pour leur confort, l’ergonomie, ils doivent avoir chacun leur pupitre, donc ça veut dire un pupitre de plus pour les coups d’archet, car il faut s’assurer que c’est identique.
MFM Quel est le rôle administratif du musicothécaire?
GD Faire les budgets de chaque saison concernant les achats, les locations, la réparation et l’entretien de la collection. Nous avons des demandes pour collaborer à la recherche de répertoire. Par exemple avec la musique moderne ou de film. Je dois chercher dans les catalogues. Cela dépend de chaque musicothécaire.
MFM. En quoi consiste l’entretien des partitions et de la collection?
GD Il y a un souci de conserver ou de nettoyer les notations des musiciens. Je vais nettoyer les marques, selon que les musiciens changent – par exemple quelqu’un qui part à la retraite, je vais nettoyer ses partitions pour les autres qui vont suivre. Par contre, pour un musiciens qui est là depuis quelques années, je vais conserver ses marques pour les prochains concerts. Souvent, il s’agit de réparer des coins de pages déchirés, ou de réparer du matériel qu’on a pas les moyens de remplacer. Je m’assure que le matériel âgé reste en bonne condition.
MFM Quels conseils donneriez-vous aux musiciens par rapport aux partitions qu’on leur prête?
GD D’être conscient que chaque partition est une dépense (impression, achat, entretien) pour un orchestre. De traiter les partitions comme si elles étaient à eux. C’est important, d’être conscient que les partitions sont pour un usage à long terme, car les elles appartiennent à l’histoire d’un orchestre. Favoriser un crayon facilement effaçable sans marque. Écrire avec minutie et proprement les corrections, coups d’archets, les indications. Dans le moment de la répétition, un musicien peut y aller rapidement avec les modifications, mais garder en tête la pérennité des partitions.
MFM En quoi consiste l’archivage de la collection?
GD Après chaque concert, je vais archiver les coups d’archets des pièces. C’est plus simple quand on reprend une pièce avec un certain chef, on ressort la copie avec ses coups d’archets. C’est pareil avec les changements ou les doublages ou des indications spéciales.
MFM Est-ce qu’il y a un lien qui se crée entre le musicothécaire et les éditeurs?
GD Peu, dépendamment de quel éditeurs où on peut acheter directement, pour d’autres éditions, comme celle dans le domaine publique c’est via des distributeurs. Pour le matériel en location, c’est souvent des corporations qui représentent des consortiums de compositeurs qui louent le matériel.
MFM Parlez-nous du parcours d’un musicothécaire?
GD Chaque musicothécaire à sa propre histoire. Certain étaient musicologues, d’autres étaient dans la gravure musicale (Finale, Sibelius), d’autres aiment l’aspect : reliure, papier, par exemple, relier des partitions par du fil. La majorité sont des musiciens à la base et surtout musiciens d’orchestre : hautboïste, violoniste, moi je suis contrebassiste. Beaucoup sont aussi des musiciens d’orchestres blessés – tendinites, blessures- d’autres sont un peu fatigué de faire de l’orchestre, mais qui veulent rester dans le milieu. Des fois je me dis que les musiciens qui sont un peu tannés de l’orchestre ou qui ont des problèmes physiques, seraient probablement les premiers à appliquer sur ma job si jamais je partais.
MFM Quelles genres de formations y a-t-il pour ce métier?
GD La plupart ont appris sur le tas, mais de plus en plus il y a des programmes d’été, comme peut-être à Tanglewood, et certains orchestres offrent des stages. Mais il faut souvent apprendre par nous-même avec des orchestres régionaux ou académiques (conservatoires, universités). J’ai toujours eu un intérêt pour les partitions et un petit côté collectionneur. Quand j’étais au conservatoire, j’étais gérant de l’orchestre et j’ai aussi travaillé à la bibliothèque du conservatoire. Pour apprendre par soi-même, on peut le faire auprès de ceux déjà en place. Avant, c’était un musicien qui se portait volontaire pour le poste, mais maintenant, comme je disais, il y a des programmes et des internships pour apprendre le métier.
MFM. Quel genre de profil, de personnalité se retrouvent généralement chez vos collègues de la profession?
GD C’est un métier assez solitaire, où il être organisé et méthodique, avoir le souci du détails. C’est souvent le métier qui nous trouve à cause de nos compétences. Être capable de satisfaire les petites demandes des musiciens. Aimer chercher, archiver.
MFM Outre le fait d’être musicien, quelles sont les autres compétences qu’on attend d’un musicothécaire?
GD Être capable de faire de la transposition, être à l’aise avec les instruments transpositeurs. Connaître les codes d’instrumentations. Savoir les noms d’instruments dans différentes langues et les instruments anciens (les cornets, les clarino sont des cuivres par exemple.) Il faut savoir parler et comprendre le langage du chef. Aussi être à l’aise avec le traitement du papier, de l’impression, des photocopies et l’utilisation de la technologie.
MFM Maintenant qu’il y a un peu plus de formations, quelles sont les possibilités de carrière comme musicothécaire de nos jours?
GD Je pense qu’on arrive là si on convoite le poste de quelqu’un qui l’a. Des gens qui veulent vraiment le devenir. Certains se sentent interpellés en voyant un poste affiché.
MFM Est-ce que c’est généralement un poste comblé à l’interne ou à l’externe d’un orchestre?
GD C’est souvent à l’externe, car généralement, dans l’administration, il n’y a personne avec les compétences pour le poste. Parfois dans les musiciens de l’orchestre. Le musicothécaire, est souvent considéré comme un musicien au niveau administratif et des conventions collectives, au niveau des contrats, parce qu’ils ont une formation de musicien. Dans beaucoup de petits orchestres, le musicothécaire est souvent un musicien de l’orchestre. Dans les plus gros orchestre, il y a souvent plus d’un musicothécaire et ils vont jouer sur leurs spécificités, ils ont aussi moins le temps de jouer dans l’orchestre. Moi j’ai joué beaucoup comme surnuméraire avec l’OSQ.
MFM Avec l’air numérique, comment gère-t-on les support digitales de la musique?
GD De plus en plus on doit imprimer des partitions provenant en PDF. Que ce soit des concerts pop, de la musique contemporaine. Ca amène différents problèmes, car à ce moment on devient un imprimeur! Si on veut garder les standards de l’industrie, on n’est pas nécessairement équipé pour imprimer des grands formats ou les relier. Je dois trouver des façon de les relier. Pour envoyer le tout en contrat chez des imprimeurs, ça amènerait des coûts supplémentaire à l’orchestre. Théoriquement, un compositeur devrait nous fournir l’accès à son matériel en version papier, à tout le moins de faciliter l’impression. Si non, ils faudrait que les orchestres envisagent de définir un format standard aux compositeurs. C’est un des problèmes des supports numériques, il n’y a pas d’uniformité avec les plateformes : tablettes. Ils nous faudrait une plateforme unique pour les musiciens, mais comme si c’est un petit marché qui évolue vite, les grandes compagnies ne sont pas intéressées à investir.
MFM Donc la partition papier est loin d’être en voie de disparition?
GD Elle est loin d’être en voie de disparition. Ce qui s’en vient à très court terme si ce n’est pas déjà en branle, c’est chez les éditeurs de musique en location, il vont permettre le téléchargement en PDF leur partitions avec un accès par mot de passe avec une date d’expiration, pour donner un accès à la partition aux musiciens et leur permettre de la pratiquer avant de recevoir la copie papier louée. Il y a aussi la technologie IStand où la partition devient interactive pour les commentaires et notations. Si on change un coup d’archet ça le change dans tous les autres pupitres.
MFM Quels conseils donneriez-vous aux compositeurs concernant leur éditions maison de leur partitions
GD La MOLA (Major Orchestra Librarian Association) a fait un document à l’usage des compositeur, arrangeurs pour définir les standards. Il faut veiller au mauvaise tourne de pages, avoir un format de papier standard : préférer le 8 ½ X 11 plutôt que le 8½ X 14 qui lui ne tient pas bien sur le lutrin, surtout s’il y a des lumières à lutrin, ça n’entre pas. Aussi que l’orientation du papier (portrait plutôt que paysage).
MFM Pour conclure, quels seraient vos recommandations aux musiciens de la relève qui envisagerait d’accéder à cette fonction?
GD De commencer à parler avec ceux déjà en poste et d’aller les observer. De mettre en branle la formation autonome, connaître les chiffres de l’instrumentation, de s’intéresser et de développer les aptitudes du métier. Développer des contacts, car ça fonctionne beaucoup par mentorat, par partage de connaissances. Viser des stages, du bénévolat, aller voir dans d’autres orchestres dans le monde.
Liens et ressources
GD LA MOLA, a été parti par quatre ou cinq musicothécaires, il y a environ soixante ans, Philadelphie, New York, Chicago, San Francisco, Orchestre de Washington. Ces gens-là sont à la retraite, mais maintenant à chaque année, nous avons des congrès, des formations, de l’encadrement, du mentorat, des échanges, et des discussions. Maintenant nous sommes rendus à la deuxième ou troisième génération de musicothécaires depuis la fondation. Le fait que les musicothécaires entre les orchestres se parlent, ça permet d’établir des standards, nous avons aussi un meilleur poids face aux éditeurs, notamment avec leurs façons d’imprimer les partitions, et aussi pour discuter de leur souci d’évoluer vers le numérique.
MOLA
Lecture : Patrick Lo, Conversations with the World’s Leading Orchestra and Opera Librarians, Editions Rowman & Littlefield Publishers; Illustrated édition (7 juin 2016)